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Interview de Canonier Décembre 2017


F2P

Il est l'homme qui aime l'humain.

Celui dont les photos ne laissent jamais indifférent. 

Le photographe qui dénonce, qui informe, qui peut aussi déranger parce qu'il provoque l'émotion. 

Ce mois-ci, je vous propose d'en apprendre plus sur Canonier, l'un des grands photographes de notre forum.

..........

 Bonjour Canonier, je suis ravie que tu aies accepté de répondre à mes questions. Peux-tu te présenter à nous en quelques mots ? 


Bonjour à tous, 
Je m’appelle Rudy De Grave, j’ai 49ans et je suis natif du Pas de Calais ( Hesdin exactement dans le 62 ).
Depuis 10 ans, j’habite au Viet Nam pour raison professionnelle. Je travaille dans le secteur de l’agroalimentaire. Je suis responsable de bureau d’étude.
Je suis marié à une Vietnamienne. J'ai deux filles en France et mon épouse en a deux également. Nous sommes une famille recomposée où l’échange de culture est devenu un facteur de cohésion.
Il m’arrive donc de me retrouver avec 5 femmes à la maison……je vous laisse imaginer… !!!  

 

 Quand et comment as-tu commencé la photographie ? 


Concernant la photo, c’est un vieux virus qui date de l’adolescence. J’avais eu pour ma communion un « Zenith12 » équipé d’un 50mm f2 Hélios, bien qu’à l’époque j’étais très intéressé, je n’ai jamais approfondi la photo et ces règles, mais je me souviens de toujours avoir été à l’affût de ce qui me paraissait insolite à photographier.
Pour des raisons de coût, ma mère m’achetait des pellicules noir et blanc.
Ce n’est que depuis 4 ans que le virus m’a rattrapé. Pour m’occuper le temps j’ai repris la photo plus sérieusement. J'ai oublié le Zénith à péloche, gardé l’Hélios... Et je me suis tourné vers le numérique. J'ai choisi Canon. 
Un 650d pour commencer et son 18-135, un 70d… Suis passé en FF depuis 2ans... Ainsi qu’une bonne dizaine de cailloux et des atomes crochus pour les focales fixes à grande ouverture, et du matériel studio… ( À côté de la rue, j’aime aussi la photo de mode, mais je pratique pas assez a mon goût ).
Je développe toutes mes photos sous Lightroom pour son cote intuitif.
Je ne connais pas Photoshop, le post traitement ne me passionne pas du tout.
J’ai une très nette préférence pour le noir et blanc, pour la force qu’il apporte en terme de lecture d’image. L’œil du lecteur se concentre sur le message de la photo plutôt que ces couleurs douces et harmonieuses…. Je trouve que le noir et blanc donne le caractère brut au message que présente l’image ainsi qu’une proximité lecteur/sujet.  C’est cette sensibilité que je ne retrouve pas sur un développement couleur. 
Un peu de Macro, mais uniquement les jours de stress, c’est un bon antidote, une immersion dans un monde dont la petitesse me semble pleine de zénitude.

 

 Y a t-il certains photographes dont tu admires le travail et qui t'ont influencé ?

- Robert Doisneau, Willy Ronis, Cartier Bresson
Leur regard humaniste et leur façon de lire la rue me fascine encore aujourd’hui.

- Vivian Maier, 
Son regard sur les rues de l’Amérique pendant l’essor économique des années 50, est presque un bilan social du pays.

- Jacques Henri Lartigues, 
Pour ces angles de prise de vue absolument incroyables et innovateurs.

- Sebastio Saldago, 
Très controversé mais qu’importe. J’adore son regard sur le monde du travail, notamment sa série sur les « mines de Serra Pelada » au Brésil, où il nous offre l’esclavage dans sa réalité. J’aime beaucoup son travail en immersion qui se ressent dans cette série de photos où la présence du photographe n’influe en rien sur la véracité de l’image.

- Patrick Chauvel, 
Pour sa régularité dans le travail, ces prises de risque, sa soif d’information, de montrer, et son immense empathie.

 

Ton domaine de prédilection, c'est la photo de rue. On admire tous ton travail et tes images ont toujours un fort impact. Peux-tu nous expliquer un peu ta façon d'appréhender ce domaine ?

La scène de rue, et les portraits de rue ont de suite été mon centre d’intérêt prioritaire, notamment l’expression des gens dans leur quotidien de vie. 
Tous les Dimanches matin, et parfois le Samedi après-midi, j’arpente les rues de Saïgon……Du centre rutilant aux quartiers populaires les plus pauvres, je cherche à capter des regards, des expressions de visage, des scènes de rue. J’aime les gens dans leurs « jus », des mannequins bien maquillés aux pauvres gens sans hygiène, je ne fais pas différence. J’y vois toujours une raison de faire une photo, que ce soit pour la beauté plastique du sujet, que pour partager la rudesse de la vie. 
Ce dernier point est celui que j’aime le plus mettre en valeur.
Personnellement, j’aime la photo de rue pour l’étendue de ce que l’on peut y voir… Sous la condition de savoir l’observer, l’appréhender. 
J’aime présenter une photo qui suscite chez le lecteur une interrogation sur lui-même…. Et qui laisse cogiter sur la précarité de certaines personnes en 2017. Histoire de montrer que derrière nos petits tracas du quotidien, il y a des vies plus sombres que les nôtres, si sombres que leurs acteurs en ont oublié de se plaindre.

En ce qui concerne ma façon d’appréhender, je vais décomposer la question en deux types de scène, avec pour chaque scène deux axes de recherche ( Impact/Force - Réglages/Technique ).

1 : Sujet en mouvement  ( un passant, un porteur, un livreur….etc….)
L’impact et la force, se trouve a mon sens dans l’observation de la scène.... Que je regarde de très loin. J’essaye toujours d’anticiper la mobilité du sujet, sa direction, pour aller me positionner à l’endroit que je pense ( plutôt que j’imagine ) être le meilleur. C’est le sujet qui vient à moi.
À cet instant, j’ai déjà construit ma photo.... Mais je ne sais pas encore quand elle sera. J’ai pour l’instant juste repéré un sujet qui porte un message fort, dans son attitude, les tensions sur son visage, sa démarche etc…
Réglages et technique, je travaille à 100% en mode M, je règle à chaque photo.
Vous le savez, je favorise les grandes ouvertures d’où mon choix de focale fixe. Je recherche l’isolement du sujet pour diriger le lecteur sur l’essentiel de la photo.
J’aime me positionner plus bas que le sujet ou tout au moins à la même hauteur que le regard. Je m’attache à ce que le rendu sur la photo ne mette pas le lecteur en position dominante. C’est un point que je défends en permanence et que je garde constamment à l’esprit. Je ne shoote pas en rafale, j’essaye de saisir l’instant.
Si le sujet m’a repéré, la spontanéité n’y sera pas, j’aurai raté ma photo.



2 : Sujet statique ( une vendeuse de rue, un mendiant, un lecteur sur un banc etc… )
L’impact et force. J’ai les mêmes critères d’observation que pour un sujet mobile… Sauf que je n’ai plus à me placer à un endroit pour que le sujet me croise. C’est moi qui m’approche du sujet en me faisant tout petit ( pas facile avec mes 90Kg….LOL ). J’essaye d’être au plus près du sujet, je ne recadre que très rarement pour redresser la photo.
Je travaille essentiellement au 35mm/85mm/135mm, et croyez moi en focale fixe, il faut s’approcher encore et encore. Je ne cache jamais mon APN, et je ne montre aucune attention particulière au sujet avant de me préparer pour le shoot.
Lorsque je suis en position, contre un mur, un poteau, un panneau au milieu d’autre gens.... C’est l’avantage de l’Asie, les rues fourmillent de monde, à ce moment là, je finalise mes réglages. 
Shooter à grande ouverture, impose un choix de collimateurs très précis… C’est le point technique le plus délicat.
Pour éviter de tourner la molette de sélection du collimateur, je fais mon choix à l’avance sur un ligne de tiers, du coup c’est le collimateur qui va à la rencontre de l’œil du sujet. 
Concernant les ISO, je règle à l’avance pour qu’ils me permettent de garder une bonne vitesse.
Pour l’ouverture, vous savez déjà, c’est quasiment tous le temps Priorité ouverture.
Il me reste au moment du clic, à gérer l’exposition.... Molette sous l’index droit à côté du déclencheur.
Comme pour le cas précèdent, j’attends que le sujet croise l’objectif. Il m’arrive de rester en place de longues minutes en attendant le bon moment, c’est parfois compliqué, mais pas d’autre choix pour obtenir ce que je souhaite réaliser. 
Si mon approche est ratée et que je suis repéré, je pars. Je reviendrais plus tard.... Un autre jour. 
 

En France, shooter des personnes, surtout des enfants, en pleine rue, est toujours risqué... Crois-tu que la mentalité occidentale ait un rapport différent vis à vis de la photographie de rue ?

 

C’est une bonne question. En Mars dernier, lors d’un retour en France, j’ai réalisé quelques photos dans la capitale. Je me suis contenté de photos sur des sujets en mouvement avec la même méthode que celle exposée plus haut. Les sujets ne m’ont pas remarqué, sauf une SDF qui m’a demandée si j’aimerais être pris en photo.... Je lui ai dit que oui.
À force de parler, bien qu’elle n’était pas très contente, j’ai réussi à lui montrer quelques photos faite en Asie. Son regard était diffèrent de celui de sa première question. Je suis parti, elle m’a dit merci.
Ce n’est qu’un exemple, je sens bien la différence avec mon quotidien. On touche à un point de culture lié à l’ego de chacun, et une obsession à vivre dans un confort de domination .
J’ai déjà abordé ce point dans les commentaires. En Asie, les gens qui composent mes photos, ont d’autres préoccupations au quotidien que leur ego. La précarité élimine les sujets superficiels de la vie. Une photo pèse peu. 
Concernant les “ enfants ”, je n’ai quasiment aucune expérience en Europe. Si je devais “ affronter ” une explication, je pense que j’offrirais la photo en échange de mon bon sentiment.... Mais c’est peut-être plus facile à écrire qu’à mettre en place.

 

 Y a t-il des domaines photographiques que tu n'as jamais exploré ou qui ne t'attirent pas du tout ?

 

Oui, je n’ai pour l’instant pas abordé le nu. C’est un domaine qui me plaît beaucoup, je pense y venir prochainement.
J’aime le nu dans un style qui offre au lecteur le désir d’en voir plus sans pour autant directement le montrer. Laisser parler l’imaginaire du lecteur, est un domaine très adapté au nu. Lui présenter une pose qui l’emmène dans ces pensées privées est un travail qui me semble intéressant.
À ce stade de ma réflexion sur la photo de nu, je ne me suis pas questionné sur le genre masculin ou féminin, mais je pense que l’un et l’autre n’auraient pas d’influence sur le concept que je décris juste avant.

 

As-tu déjà pensé à en faire ton métier ?

 

Sans me cacher, j’aurais aimé être photographe de presse.
À l’image d’un “ Chavel ” pour ne citer que lui. Partir sur des sujets comme le génocide qui a lieu en ce moment en Birmanie, me motive et me passionne. Mais j’ai pris le train trop tard.
Ensuite il faut être réaliste, gagner sa vie dans le domaine de la photo n’est pas si simple. La liste des prétendants pour n’importe quel sujet photographique est longue. 
Si j’avais 20 ans demain, je serais de moi-même en Birmanie pour montrer des images de ce qu'il s'y passe.

 

Cartier Bresson disait que la photographie, c'était de mettre sur la même ligne de mire, la tête, l'oeil et le coeur. Qu'en penses-tu ?

 

Pour interprétation que je fais de cette citation, j’adhère complètement. Pour faire une bonne photo à mon sens qu’il faut savoir mettre en place la photo dans sa tête pour une lecture cohérente et nommer le sujet, se servir de l’œil pour faire ressortir de la scène ou du sujet le message dicté par la tête. Et pour le cœur, je dirais qu’il ne peut pas y avoir de message fort dans une photo si le sujet n’est pas apprécié et respecté du photographe pour ce qu’il est. Il faut aimer les gens pour faire de la photo de rue.

 

Quel serait pour toi le plus grand défi photographique ?

 

Ce n’est pas vraiment dans l’exercice de la prise de vue que se trouve le “ grand défi ” pour moi, mais plutôt dans le traitement de l’image. Ou encore l’assemblage des panneaux qui regroupent un nombre de photos énormes pour réaliser les fameux “ milky-way ” par exemple.
Photoshop est un vrai défi pou moi.

 

Tu connais bien F2P. Qu'est ce que le forum t'apporte ? Qu'est ce que tu en penses ? Y a t-il des choses que tu aimerais y voir y figurer qui n'y sont pas actuellement ?

 

Je suis passe le 11 Septembre, et j’y suis resté.
L’ergonomie du forum a été le premier déclic, ensuite est venu la présence, c’est un gros plus. Avec pour chaque photo postée au moins un commentaire. Et être lu, c’est déjà énorme pour les amateurs que nous sommes.
Les points à ajouter... Il y aurait bien quelques “ trucs ”, mais rien qui ne soit urgent. Un défi à la semaine peut-être, c’est un excellent outil de progression. Je développerai ailleurs.

 

Je te remercie Canonier d'avoir bien voulu répondre à mes questions. As-tu quelque chose à ajouter ?


C’est moi qui vous remercie, pour votre accueil ici et pour cette interview qui me donne l’occasion de m’exprimer sur mon univers photo.
J’ajouterais juste un message à tous les membres : qu’ils n’hésitent pas à poster bien sur, mais surtout à commenter. C’est autour d’une photo et des commentaires qu’arrivent les déclics de la progression que nous recherchons tous.
 

 

Concernant les photos:
Photo 1:
Portrait d’une vielle Dame, qui malgré son âge très avancée, n’a sûrement personne pour prendre soin d’elle.
La scène, prise en approche lente au milieu d’autres passants…. J’ai attendu qu’elle tourne la tête pour capter ce regard qui semble implorer de l’aide... « Respect ».

c1.jpg

Photo 2 et 3 :
Scène de rue à objectif « coup de gueule ».

En plan serré d’un homme qui payera toute sa vie le coût de la bêtise humaine.
De 1962 à 1971, il est estimé par les spécialistes que 80 millions de litres de défoliant ont été déversés sur 3.3 millions d’hectares de forêts et de terres au Vietnam. 
Plus de 300 villages ont été contaminés. 60% des défoliants utilisés étaient l’Agent Orange, représentant l’équivalent de quatre cents kilos de dioxine pure.
Derrière ces tests à grande échelle sur des populations qui n’avaient bien sur, rien demandées, où l’homme a servi de « cobaye », se cache le grand géant Américain, Monsanto.
Aujourd’hui il roule sur l’or avec 13.5 milliard USD de chiffre d’affaire annuel, avec comme culture et expérience des bases issues de ce génocide sournois.
Ironie du sort, le siège social est basé dans une ville des US qui se nomme « crève-cœur »…. Dont acte...
Aujourd’hui l’ actualité le rattrape, le Glyphosate est en ligne de mire, ce Monsieur errant sur les trottoirs de Saigon, portera toute sa vie la signature du Géant.
Ces deux photos ont étés réalisées sur des sorties différentes, la compo en plan serré en intégrant une jambe forte et puissante est volontaire pour la comparaison des tailles.

c2.jpg

c3.jpg


Retour utilisateur

Commentaires recommandés


Superbe interview qui nous permet de mieux cerner ta personnalité et tes points d'intérêts ! Même si je ne partage pas un attrait particulier pour la photo de rue, il est toujours intéressant de connaître les motivations de ceux qui la pratique.

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Quand je disais dans un comm que je restais longtemps sur tes photos...

Ce que tu es se voit dans tes photos, ton empathie et ta sincérité se ressentent.

Et l'humilité qui va avec.

Merci, monsieur Canonier.

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Merci pour cette itw qui nous éclaire un peu plus sur ta personne et ta pratique, et qui confirme le bien que je pense de toi et de ta très riche production. J'ai vu des centaines de photos de ta part et il y a toujours autant d'impact, et même de plus en plus...

Modifié par Perceval
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merci @Canonier pour cet interview, très bonne personnalité et grand amour à l'autre que tes photos l'ont bien exprimé avant ce très beau interview. merci aussi aux admins de ce forum qui ont permis aux différentes personnalités et artistes du monde de ce rencontrer, changer leurs expériences, savoir et vie.

Modifié par smailtn
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Voici quelques temps que je te suis, ici et ailleurs... et je regarde tes photos avec toujours autant de plaisir et d'admiration...

C'est une très belle interview qui montre sans doute une belle et humble personnalité...

Tes trois photos sont si touchantes ici encore...

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Il y a 5 heures, Alain a dit :

Je n’y connais pas grand chose en photo de rue, mais t’es photos sont lourde de sens. 

Encore une fois, un très bel entrevue. Bravo à vous deux.:)

 

Merci de ton commentaire et ton regard sur mes photos.

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